Lettres métèques
Sultana & Voahangy
À Pâque l’amertume douce-amère de l’esclavage doit être ingérée pour faire effet et souvenir. On mélange dans une même bouchée du « mortier » fait de dattes et de pommes, et des « herbes amères » trempées dans du vinaigre. Ma mère demandait à mon père de ne pas insister sur le vinaigre et la feuille de salade n’était pas vraiment amère en fait, elle offrait un contenant à la petite boule de mortier. Et c’est beaucoup plus tard que j’ai compris vraiment l’amertume douce de l’esclavage en écoutant une émission sur la difficile liberté chez Levinas. De quoi sommes-nous encore esclaves? Car je n’ai pas le sentiment que nous soyons vraiment libres.

Sultana

Dans mon enfance, il n’y a pas de rituels familiaux religieux. Sans doute parce que mes parents ont rejeté leur tradition catholique. Du côté de mon père, dans un contexte colonial aliénant. C’était différent pour ma mère issue d’une histoire républicaine espagnole. Ils ont cru, un temps court, à la liberté des indépendances africaines, puis ils ont navigué à vue entre le Maroc, Madagascar et la France. J’ose une association hasardeuse sur l’amer : le goût des brèdes mafanescuisinées pour faire du romazava par ma mère. Mon fils apprécie ses petites fleurs jaunes qui donnent une sensation de piquant à cette « herbe chaude » dont le nom signifie : « Qui fait vibrer le palais. » Anamafana. Ici, le sens est à creuser, le langage à articuler, et je voudrais convoquer le pouvoir de transformation des plantes, goûter l’amer et le piquant pour y avoir accès.

Voahangy
Collection Voix publiques
116 pages, 22 × 14,5 cm,
octobre 2024




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